Chloë Ashby nous invite à une découverte de l'histoire de l'art à travers la couleur dans son ouvrage paru en mars 2023. Nous avons eu envie de lui en demander plus sur cette façon de regarder l'art et sur son travail en général.
Pouvez-vous s’il vous plait vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Je m’appelle Chloë Ashby, je suis une autrice et critique d’art londonienne. Diplômée en histoire de l’art du Courtauld Institute of Art, j’écris sur l’art et la culture pour de nombreux titres comme Times, TLS, Guardian, FT Life & Arts, Spectator et frieze. J’écris également des ouvrages sur l’art et des romans.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur l’histoire de l’art ?
Parce que, comme pour la plupart des choses qui nous sont facilement accessibles, nous prenons la couleur pour acquise. À quelle fréquence vous arrêtez-vous et contemplez-vous une nuance particulière, en vous interrogeant sur sa signification ? Lorsque l'artiste conceptuelle française Sophie Calle a demandé à quelques dizaines de personnes aveugles de naissance de décrire leur image de la beauté, l'une d'elles a répondu : « Le vert est beau. Parce qu'à chaque fois que j'aime quelque chose, on me dit que c'est vert. L'herbe est verte ; les arbres, les feuilles et la nature aussi. J'aime m'habiller en vert. » Je trouve cela merveilleux, et j'espère que ce livre encouragera les lecteurs à contempler la couleur et toutes ses variétés infinies dans la vie comme dans l'art.
Comment avez-vous travaillé sur cet ouvrage ?
J‘ai pensé aux moments fondateurs de l’histoire de l’art, et j’en ai fait la trame de mes chapitres. Pensez par exemple à la révolution impressionniste, rendue possible par des innovations scientifiques et technologiques, et par le courage d’artistes radicaux dans leur approche picturale. À travers les chapitres sont proposées 80 études de cas, ainsi que des focus sur des aspects techniques (propriétés des couleurs, théorie de la couleur, système Pantone…). J’évoque également la question complexe et non résolue du canon blanc occidental dans la représentation des humains.
Certaines œuvres me sont immédiatement venues à l’esprit (le bleu du ciel de Giotto dans la chapelle des Scrovegni, le portrait de Berthe Morisot avec son bouquet de violettes par Edouard Manet…). D’autres me sont apparues au cours de mes recherches. Ainsi, j’ai découvert que la grande artiste d'Amsterdam Rachel Ruysch utilisait un minéral toxique appelé réalgar pour obtenir les pétales orange brûlé des lys ardents de son élégant bouquet. Je voulais aussi inclure quelques surprises : de loin, le champ uni solitaire d'Agnès Martin peut ressembler à une toile vierge floue, mais de près, vous découvrirez qu'il est composé d'un délicat voile de couleur subtilement nuancé posé sur une grille dessinée à la main. Bien sûr, il y a plein d’autres œuvres que j'aurais pu inclure (j’en ai cité certaines en « œuvres complémentaires »).
Quelle est votre palette préférée du livre ?
J'aime beaucoup Peignant les cheveux (La Coiffure) d'Edgar Degas (1896). Le brossage des cheveux peut sembler anodin, mais à l’époque, il était scandaleux pour une femme de démêler ses cheveux en public. La présence d'un rideau décollé sur la gauche de la vaste toile de Degas laisse entendre que nous voyons quelque chose que nous ne devrions pas voir. La composition oscille entre intimité, érotisme et violence – et cela avant même d'en arriver à la palette rouge-orangé fougueuse. En se perdant dans les variations d'une même couleur, l'artiste exacerbe le caractère claustrophobe de la scène. C'est une nuance associée à une gamme d'émotions : l'amour, la luxure, la violence et la honte. Le simple fait de regarder cette toile fait monter la chaleur aux joues.
Quels sont vos projets en cours et à venir ?
Mon premier roman, Wet Paint, sera publiée en août en France aux éditions de La Table Ronde sous le titre Peinture fraîche. Et mon deuxième roman, Second Self, sera publié au Royaume-Uni en juillet.