Rencontre avec Mathieu Oui

Retour sur un entretien instructif avec l'auteur de Réussir sa communication artistique...


L’écriture de votre livre a-t-elle été motivée par le constat d’un manque de formation ou d’information dans le domaine de la communication artistique ? Comment pourriez-vous expliquer de telles lacunes ?
Il y a un vrai déficit d’informations, de connaissances et de formations en matière de communication. Les causes sont multiples. Les écoles ont trop longtemps assimilé la communication au commerce ou au marketing, des domaines qui ne seraient pas vraiment dignes d’être enseignés. Il y a une certaine frilosité voire un tabou à aborder ces questions, comme si communiquer sur son travail signifiait forcément se soumettre à la loi du marché de l’art. Certains directeurs ou enseignants considèrent les études d’art comme un cocon dans lequel les étudiants devraient être protégés du monde extérieur pour mieux se consacrer à la création et la recherche.
Par ailleurs, la communication fait appel à la fois à des techniques d’écriture, à la maîtrise de méthodes et d’outils numériques, à la connaissance de nombreux réseaux (la presse, les agences de communication, les institutions, les mécènes ou les collectionneurs…), en bref, ce secteur suppose une approche transversale que possède rarement les enseignants. De leur côté, les étudiants ne voient pas toujours l’intérêt de maîtriser ces techniques du « faire-savoir » tant qu’ils ne sont pas confrontés à une véritable problématique. C’est généralement une fois sortis de l’école qu’ils se posent ces questions avec acuité, par exemple à l’occasion de la réponse à un appel à projets ou lors de l’organisation d’une première exposition personnelle.


Quel conseil fondamental donneriez-vous à nos lecteurs artistes, en vue d’une communication artistique efficace et réussie ?
L’un des conseils qui est le plus souvent cité par les professionnels dans mon ouvrage est l’importance de bien cibler son interlocuteur. Obtenir un rendez-vous chez un grand galeriste ou auprès d’un commissaire d’exposition réputé, juste parce que c’est une grand nom du monde de l’art, n’a pas beaucoup de sens si votre univers artistique s’avère très éloigné du sien. Il faut arriver à identifier la ou les bonne(s) personne(s) , celles qui sont susceptibles d’être touchées par votre art. Ce n’est pas si facile, nécessite de faire de la veille et peut prendre du temps.
Une fois que cette personne a été identifiée, et si l'on a la chance d’obtenir un rendez-vous, il faut alors bien préparer la rencontre. Cela signifie connaître l’univers professionnel de la personne : le type de travail artistique qu’il ou elle défend, ses choix et son univers, etc. Il n’y a rien de pire pour un professionnel de se rendre compte que la personne à qui on consacre un peu de son temps est arrivé chez vous par hasard. En résumé : plus la rencontre sera riche humainement, plus vous aurez de choses à partager et plus il y a des chances que cela débouche sur une collaboration intéressante.


Quels sont les principaux pièges à éviter dans cet exercice difficile mais absolument nécessaire ?
C’est un peu une lapalissade, mais communiquer juste pour faire du buzz ne mène généralement pas très loin. Il faut toujours se poser la question du projet sur lequel on veut communiquer. Est-il suffisamment de qualité, original, personnel, et abouti, ou doit-il encore être travaillé, peaufiné ? La question du bon timing pour présenter son travail est très délicate pour les jeunes artistes. Ils ont beaucoup de pression : ils savent que pour exister ils doivent avoir des choses à présenter. Mais une création de qualité peut mettre du temps à émerger, et il faut être suffisamment mûr pour résister à cette pression et se donner le temps nécessaire.…. Un autre piège fréquent consiste à penser que la communication se résume aux réseaux sociaux, au bruit numérique. Certes, être actif sur Facebook ou Instagram est utile pour diffuser directement son travail mais cela ne suffit pas. Je dirais que c’est l’un des maillons de la chaine de communication, mais que les autres (le site internet, les supports papier tels que le livre ou les parutions dans la presse, mais aussi l’information directe, le bouche à oreilles, et la rencontre directe avec le public) sont également indispensables pour toucher un autre public qui ne va pas forcément sur les réseaux ou pour se distinguer du flux numérique.


Comment avez-vous sélectionné les différents intervenants de votre ouvrage ?
Je voulais à la fois recueillir les conseils de professionnels et croiser leurs regards : certains sont plus spécialisés dans la photographie, d’autres dans l’art contemporain, une autre encore dans l’architecture. Au-delà de leur expertise professionnelle, il était important que tous soient en contact avec la jeune création, soit comme enseignant en écoles d’art, soit parce qu’ils participent à des jurys artistiques. Je voulais aussi donner la parole aux jeunes artistes eux-même, qui évoquent à la fois leurs difficultés mais aussi leur façon personnelle de procéder, qui s’avère relativement unique. L’idée est que au-delà de la présentation des outils (le cœur de ce livre est un peu conçu comme une boite à outils), c’est à chacun de s’en emparer et d’en faire sa propre création.


Quel sujet souhaiteriez-vous aborder dans un prochain livre ?
C’est la première fois que me confrontais à l’écriture d’un livre et je dois dire que j’ai beaucoup apprécié ce travail sur la durée. Cette expérience m’a donné fortement envie de récidiver. J’aimerais de nouveau écrire sur l’art, en essayant de défricher des terrains un peu vierges. J’ai aussi envie de garder cette approche transversale qui consiste à écrire sans se limiter à un seul medium (la peinture, la sculpture, la photographie…) mais en embrassant largement la création artistique. Je réfléchis à un nouveau projet qui donnerait la part belle à l’image, mais c’est encore un peu tôt pour en parler…

 

Image de couverture : © Maxime Matthys