Guillaume Lamarre nous parle de "Festins"

Auteur majeur du catalogue Pyramyd, Guillaume Lamarre revient cet automne avec Festins, un ouvrage assez inclassable et totalement passionnant. Il nous en dit plus... 

 

 

Bonjour Guillaume. Tu reviens au catalogue Pyramyd avec un titre résolument différent de tes précédents ouvrages. Peux-tu le présenter en quelques mots ?

Je me suis penché sur le monde de la gastronomie avec l'intuition que la façon de travailler des grands chefs, la manière dont ils exploitaient leur potentiel créatif pouvait inspirer tous les professionnels de la création, quel que soit leur domaine. J'ai donc rencontré dix grands cuisiniers, chez eux, dans leur établissement. Je me suis longuement entretenu avec eux, j'ai souvent goûté leur cuisine, observé leur façon de travailler afin de dresser leur portrait et d'expliquer sous la forme de "recettes" ce qu'ils font et dont nous pouvons nous servir pour enrichir notre propre pratique. J'en profite également pour expliquer comment fonctionne la créativité et ce que nous devons développer, en tant que professionnels, pour la réveiller, la cultiver et surtout l'apprivoiser.

 

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre ? Et quelles ont été les étapes de ton processus de conception et d’écriture ?

Lors de l'écriture de mon précédent livre sur le storytelling, j'ai longuement regardé la série Chef's Table, notamment les épisodes sur Alain Passard et Alexandre Couillon, deux chefs français fantastiques. Même si j'adore le show, à force de les regarder, je me suis aperçu que les épisodes se ressemblaient énormément. Ils restaient pour le moins en surface, faisant la part belle à l'esthétique et au récit, sans réellement rentrer dans le processus. Et puis j'ai grandi en lisant les portraits en quatrième de couverture du quotidien Libération. Je rêve depuis toujours de pouvoir en écrire à mon tour. Vous m'en avez donné l'occasion.

 

Au départ, je ne connaissais absolument rien au monde de la cuisine et de la gastronomie. Durant la phase d'exploration, j'ai dû tout découvrir : rencontrer des personnalités qui m'ont ouvert les portes, séparer le bon grain de l'ivraie sur les réseaux sociaux, ingurgiter des heures de documentaires et lire autant de livres que possible sur les recettes ou sur l'histoire de la gastronomie elle-même. De cette exploration est née la structure de l'ouvrage autour des cinq saisons, l'architecture des portraits ainsi que les recettes. J'ai rencontré les chefs sans idées préconçues, en parfait béotien, et en essayant de garder à l'esprit ce dont un designer aurait besoin pour progresser. Je n'avais plus alors qu'à écrire en veillant à ce que chaque portrait traduise la voix, la cuisine ainsi que la personnalité des chefs en question.

 

 

Dans la cuisine de Jean-Michel Carrette

 

Peux-tu nous raconter une des rencontres marquantes que tu as faites grâce à ce livre ?

Impossible de n'en choisir qu'une, pourtant si je dois le faire, je dirais que ma rencontre avec Michel Guérard a été magique. À quatre-vingt sept ans, il représente la quintessence de l'esprit créatif. Il m'a reçu dans son établissement au cœur des Landes, un endroit luxueux. Il m'a invité à déjeuner dans l'un de ses restaurants alors que ça n'était pas du tout prévu. Il m'a montré des dessins de ses créations lorsqu'il n'était encore que pâtissier au Lido dans les années 1960 et j'ai pu visiter le domaine pendant un long moment. Pour tout dire, j'ai eu l'impression, pendant quelques heures, de retrouver un peu mon grand-père disparu avec lequel, d'ailleurs, Chef Michel partage de nombreux traits. Cela peut sembler sans doute un peu entendu, mais chacune des rencontres a été extrêmement marquante. C'est un métier impossible avec une exigence, des contraintes et des conditions éprouvantes. Beaucoup des cuisiniers que j'ai interviewés possèdent une sensibilité à fleur de peau qu'ils cachent derrière leurs couteaux mais qui ne demande qu'à s'exprimer à chaque instant.  

 

Si tu devais nous livrer trois conseils de créativité inspirés des grands chefs, lesquels seraient-ils ?

Le premier conseil que je puisse vous donner, je le tiens d'Alain Chapel, un immense cuisinier décédé aujourd'hui. Chapel nous dit que la cuisine c'est bien plus que des recettes. En effet, il n'existe aucune recette pour être créatif. C'est à vous, nous, de comprendre que nous le sommes tous au départ, que nous avons juste oublié que nous l'étions pour tout un tas de raisons qui nous appartiennent – ou pas – et que nous avons à trouver notre propre chemin, nos propres ressources et notre propre voix. Il n'existe aucun raccourci vous devez seulement – et c'est loin d'être une mince affaire – changer de regard sur vous-même et sur le monde qui vous entoure.

 

Le deuxième conseil, cette fois-ci, c'est Alexandre Gauthier qui nous le donne. Il faut suivre vos envies. Les idées sont attirées par les envies comme les abeilles par le miel. Ce livre est le résultat d'une somme d'envies que j'ai, pour la plupart, suivies. Les envies sont un trésor pour le créatif qu'il s'agit de cultiver et de chérir. Johnny Hallyday l'avais bien compris ;)

 

Dernier conseil, adoptez le même état d'esprit que Julien Alvarez, le pâtissier du Bristol. Un professionnel de la création s'embarque pour un marathon et non pour un sprint. Les choses se construisent avec patience et il ne faut jamais négliger les moments où, soi-disant, le créatif ne fait rien. Loin d'être des machines, nous devons nous considérer comme des jardins. Il s'agit alors de se cultiver et de se préserver comme tel, en laissant les choses venir à soi et grandir en soi. 

 

 

Cet ouvrage a-t-il également changé ta façon d’aborder la cuisine au quotidien ?

Cet ouvrage a changé énormément de choses pour moi dans ma vie quotidienne comme professionnelle. Il m'a surtout permis de considérer que tout était intimement lié. Lorsque je cuisine désormais — alors que je ne cuisinais pratiquement pas auparavant — je le fais exactement de la même manière que lorsque j'écris, dessine ou crée une affiche. Cela peut sembler évident, mais je m'intéresse beaucoup plus aux produits que j'achète et à qui je les achète. Le plus important je crois, c'est qu'ayant assisté à de nombreuses mises en place dans les restaurants que j'ai visités, je suis imprégné des gestes et des postures des cuisiniers que j'ai vu en action. Nos neurones miroirs sont un outil puissant. Il n'existe pas de recette, mais observer, copier, mimer les grands créateurs qui nous inspirent est un moyen de progresser et de développer son propre savoir-faire, sa propre signature. J'espère que cet ouvrage jouera ce rôle pour ses lecteurs.

 

 En cuisine, chez les Troisgros