Rencontre avec Nathalie Junod Ponsard

Alors que nous publions sa première monographie, nous avons posé quelques questions à Nathalie Junod Ponsard. Une conversation passionnante autour de l'art, du livre et de la lumière. 

 

Bonjour Nathalie. Peux-tu s'il te plaît te présenter à nos lecteurs et nous dépeindre ton parcours artistique ? 

 

Lorsque j’ai débuté mes études d’art à l’école des Beaux-Arts de Nantes, j’ai aussitôt élaboré dans mon travail personnel des dispositifs et expérimentations avec la lumière. Ce que j’ai poursuivi à l’Ensad à Paris avec, par exemple, une performance réalisée en public dans laquelle j’allumais des lampes à souder qui projetaient des flammes bleues devant des images filmées de la mer aux vagues grises. Feu et eau se mêlaient dans notre regard en un seul élément, le son des six chalumeaux évoquait le ressac de la mer.

Mes œuvres et installations lumineuses se sont vite déployées à l’échelle des sites dans lesquels j’étais conviée à créer, comme une exploration des lieux et des actions qui s’y déroulent. L’œuvre n’étant visible qu’à partir du moment où elle est réalisée in situ, je considère ce geste comme une performance de l’espace.  Dans ma pratique artistique je recherche une articulation entre la lumière, ses longueurs d’onde pures et saturées, et le site, pour que les éléments ne fassent qu’un, un tout. Souvent immersives, les installations proposent aux visiteurs des expériences spécifiques : vertige visuel, sensations d’énergie, de flottement, conscience modifiée, etc. Elles mettent en avant l’influence forte de notre environnement sur nos corps biologiques et sur notre perception.

Ce sont des œuvres réalisées dans des lieux et contextes divers, qui chaque fois façonnent une création singulière : l’observatoire Jantar Mantar à New Delhi, le Singapore Art Museum (Biennale à Singapour), la Galerie Guggenheim (Los Angeles), la piscine Pontoise à Paris (1ère Nuit Blanche), les ateliers polyvalents du Centre Pompidou à Paris, le Bauhaus de Dessau (Allemagne), le Palais Farnèse à Rome, la Maison Hermès (Paris), la galerie Delacroix et le Palais des Institutions à Tanger (Maroc), le musée de l’Oural à Ekaterinbourg (Russie) et ses collections, les deux étages de l’Espace Fondation EDF (Paris), le centre d’art The temple à Pékin (ancien temple bouddhiste), le musée Luxelakes A4 Museum (Chengdu, Chine), le palais de justice à Hildesheim (Licht Kunst Biennale, Allemagne)... Des œuvres permanentes sont élaborées in situ : commandes publiques pour le ministère de la Culture sur la fontaine place Malraux et sur la Galerie des Gobelins à Paris, sur la place de l’Europe-Simone Veil pour la Ville de Paris et, à Rome, dans le musée MACRO et au musée Palazzo delle Esposizioni. Des œuvres sont acquises par le Mobilier National et par le FNAC.  Le musée MOCA et le Greenland 468 Center (Chengdu, Chine) ont présenté une exposition rétrospective de mon œuvre en 2014. Par ailleurs, j’ai représenté la France à la Western China International Art Biennale 2017 au Inner Mongolia Art Museum. En 2021, le Mobilier national m’a commandé une oeuvre pour l’escalier Murat au Palais de l’Élysée.

 

 

Cette monographie arrive après plus de trente ans de carrière. Que représente-t-elle à tes yeux ? 

 

Cet ouvrage montre le processus de création étroitement lié aux lieux, aux sites, et donne une vision d’ensemble en créant des réseaux entre les œuvres réparties en cinq chapitres.  Il s’agit avec ce livre d’une part de réunir mes diverses expérimentations réalisées avec la lumière dans mes œuvres et d’autre part de me permettre de développer de nouvelles pistes de création. Une partie de mes œuvres étant de nature éphémère, c’est l’occasion de les faire subsister ou pérenniser.  Il me semble donc très pertinent à ce moment de mon parcours de réunir dans cet ouvrage un large ensemble d’œuvres, accompagnées pour certaines de dessins, d’esquisses et de schémas inédits donnant à voir le processus de création. Des textes de critiques établissent par ailleurs des croisements sur ce qui est invisible, ouvrant de nouvelles perspectives et d’autres regards. Ils en déroulent les aspects critiques, philosophiques et scientifiques. Ce projet a représenté un dialogue constant avec l’éditrice qui en a favorisé l’émergence et la construction, ainsi qu’avec le graphiste qui permet aux lecteurs une plongée dans les œuvres afin de les appréhender.

 

 

Comment expliquerais-tu ton travail à quelqu’un qui le découvre pour la première fois ? 

 

Je crée des œuvres ou installations lumineuses dans une exploration de l’espace et de ses effets sur le corps vivant, notamment en réalisant de nouvelles énergies. Les sites qui les reçoivent sont modifiés par la lumière, ils se voient revisités par une forme de densité. Mes œuvres tendent à déstabiliser nos repères habituels. Ces installations engendrées par de multiples expérimentations fondées sur un travail numérique précis saturent les lieux de lumière avec des longueurs d’onde qui troublent les sens, suscitant, parmi d’autres, une modification physiologique de nos repères perceptifs. Mes recherches entre art et science m'ont amenée à explorer l'influence de la lumière sur les systèmes biologiques humains (et sur notre environnement), à expérimenter les limites de la perception et les effets psychotropes de la lumière.

 

 

Quels sont les plus grands défis des artistes d’aujourd’hui ? 

 

Les philosophes de l’Antiquité interrogeaient la lumière dans une dimension physiologique et optique, dans la façon dont le monde nous était visible. L’atmosphère spécifique et changeante de mes œuvres immersives aux longueurs d’onde pures et saturées qui excitent nos pupilles crée des environnements pouvant modifier notre perception et le développement de notre pensée tout en agissant physiologiquement, comme une prise de conscience de notre proche environnement.

Le rôle des artistes est d’ouvrir à des interrogations sur notre monde actuel, de le questionner en créant de nouvelles formes dans une sorte de sublimation. Il est d’autant plus facile pour les artistes de le faire que ce processus peut se produire de façon abstraite et agir, il me semble, plus directement dans notre conscience.

 

 

Quels sont tes projets en cours et à venir ?

 

Une exposition personnelle à la galerie baudoin lebon est en cours et visible jusqu’à la fin du mois de juillet. J’y présente une installation lumineuse créée in situ dans laquelle nous avons la sensation de nous ‘dissoudre’, elle est accompagnée d’œuvres inédites. Parallèlement, avec l’appui de la galerie, je suis en train de créer des sculptures en verre au CERFAV.

En septembre prochain démarrera une exposition personnelle à la Maison Louis Carré (Yvelines), dans laquelle je me confronterai au lieu avec des installations in situ et la présentation d’œuvres.

Dans le cadre des Jeux Olympiques Paris 2024, je travaille sur deux œuvres permanentes sur la Halle Maxwell, ancienne centrale électrique, à Saint-Denis. Par ailleurs, j’ai en projet une œuvre gigantesque dans la ville de Riyad en Arabie Saoudite.